Un pont du diable et son monastère ruiné, un aqueduc oublié au coin d’un bois, une ferme accrochée au bord d’un ravin, un faux menhir, de grandes digues de pierres. En pleine nature, débusquez ces rendez-vous singuliers avec les vestiges du temps, les fantômes du passé.

Rimbaud de Montmirail

À Rocalinaud, un rocher fait front. Sur son flanc est, Beaumes-de-Venise est bien gardée.
De profil, ce guetteur fossile semble observer l’avancée du mont Ventoux dans la plaine. De son unique orbite creusée dans un visage de pierre grise où grimpe un escalier taillé dans le vif, il jauge sa hauteur.
Ce géant, il l’a vu grandir, sortir d’un océan. Et maintenant, qu’est-ce qu’il espère ? Peut-être d’autres vendanges à ses pieds pour tromper sa solitude de statue polie par la pluie et le vent.
Prébayon, c’est un ravin des Dentelles où coule un torrent capricieux. Sur un lit de dalles qui se parcourt à sec comme une chaussée en chantier, le Trignon sème d’énormes boulets de grès, du sable, des campanules et quelques fonds de mares pour de farouches grenouilles.
Aux limites de Gigondas, Sablet et Séguret, c’est aussi un frais vallon épargné par la vigne, un îlot de fraîcheur hanté par les ruines d’un monastère fantôme. Un pont de pierre, attribué au diable, enjambe l’obstacle pour vous plonger dans cet écrin saturé de vert où la moindre vie palpite dans un bouton de fleur, sur une feuille, sous une pierre, pour oublier son destin. Un joli val pour le dormeur de Rimbaud.

Insolite sur son piton mangé par le maquis, ce n’est pas une tour génoise à la mode corse, mais une tour sarrasine, poste avancé de la barre rocheuse qui la surplombe et dont elle emprunte le nom. Vigie du monde, elle s’écroule depuis toujours, et pourtant elle demeure, veillant sur une plaine sans doute plus boisée qu’autrefois. Vous la verrez en dévalant le col d’Alsau vers les anciens thermes de Montmirail et leur source d’eau verte, trop vite comme toujours.

Borne géante semée sur le chemin, vous frôlerez aussi un faux menhir, haut comme six rochers empilés, jeu de saute-mouton qui a mal tourné, avant de partir vers Lafare, la Salette et sa cascade Saint-Christophe qui se gagne presque à quatre pattes sur des rochers glissants à souhait. N’oubliez pas de saisir la corde du salut à main droite. Petite victoire sur l’attraction terrestre. Une gorge si large pour un si mince filet d’eau ? Gare aux orages.

Pierres sèches en Vaucluse

Dans la forêt de la Pérégrine, la nature est sensible. Centaurées, cistes, immortelles, tanaisies et vipérines composent le bouquet coloré d’une Venasque florale que pâturaient autrefois moutons et chèvres. Encadré par des vigies d’incendie, la draille qui tranche là une garrigue encore sauvage est un livre ouvert sur tous les paysages du Comtat. Ici, le regard n’est que panoramique.
Avant de remonter par la combe du diable, encore lui, c’est une Nesque encaissée qui vous ouvre son lit : elle a perdu les eaux pour enfanter galets blanchis et racines nues.
En glissant vers Le Beaucet, une petite piste délivre de sa solitude le vallon de Carroufra. Dans une cour de ferme, deux chiens veillent sur ce petit monde clos peuplé d’habitats troglodytiques et parcouru de grandes digues en pierre sèche qui n’arrêtèrent jamais la fuite du « bon vieux temps ».
Plus au sud, sur le plateau de La Roque-sur-Pernes, deux grangeons* de belles tailles veillent sur des moissons fantômes. Vaisseaux tout retournés, ils semblent s’être échoués là aussi bien hier qu’au Moyen Âge. La pierre n’a pas d’âge, elle se recycle à l’infini.
Entre Monieux et Méthamis, à l’ancienne ferme fortifiée de Lausemolan, vous voilà dans un roman de Giono plus que de Pagnol. Là-haut sur les Monts de Vaucluse, on ne partait pas en vacances à la fin de l’année scolaire, pile au temps des moissons. Désormais, les troupeaux sont de cailloux et leurs bergers des arbres noueux. Pas âme qui vive, et pourtant on ne se sent pas seul. Dans la cour intérieure, où folâtre un couple d’érables, une montée d’escalier invite à s’asseoir pour méditer sur son sort. Tout est resté presque en l’état : le puits, le four à pain, la cuve à vin et l’ingénieux système de collecte d’eau de pluie. En sentinelle, un antique poirier à feuilles d’amandier, aux airs de vieux sorcier, guette encore l’arrivée de la fée électricité. De quoi vous plaignez-vous ?

* du provençal granjoun, « petite grange, petite ferme, petite cabane », diminutif de granjo, « grange, lieu où l’on serre le blé en gerbes. » (source : pierreseche.chez-alice.fr, Christian Lassure)

Féérique Ventoux

« Sésame ouvre-toi » est-on tenté de dire en passant devant le portail Saint-Jean à Malaucène, curiosité naturelle qui se remarque dès les premiers lacets du Ventoux. Selon la légende, ce drôle de rocher dissimulerait l’entrée d’une grotte, repaire d’une chèvre d’or et autres trésors fabuleux. Noël serait son unique jour d’ouverture, entre le premier et le douzième coup de minuit, s’il vous plaît. Sa forme de paupière close laisse plutôt présager qu’un beau matin la montagne daignera jeter un œil distrait sur tous ces cyclistes qui passent inlassablement sous son nez sans vraiment se soucier d’elle.

À Bédoin, ce n’est pas sur un berceau, mais sur des cheminées d’ocre que les fées de l’érosion se sont penchées. À l’ouest du hameau des Baux, encadrées par Les Fougassets, les Couguious et les Pousse-Chien, les Demoiselles Coiffées offrent un décor de conte fantastique pour imagination fertile. Au milieu de pins droits comme des i, comment ne pas tomber sous le charme de ces cheminées de fée attendant le retour au logis de Mélusine, Morgane ou, peut-être, Clochette ? Gare aux sortilèges !

L' aqueduc du Barroux
Autrefois, Le Barroux manquait d’eau en été. Pour acheminer celle de la source de Saint-Andéol vers la grande fontaine élevée pour l’occasion au centre du village, un aqueduc fut construit dans les années 1840. Doté de plusieurs arches, dont une seule subsiste, l’ouvrage d’art permettait de franchir le ravin des Gipières au nord. Les travaux furent terminés en 1847. Une entreprise coûteuse pour la commune qui la mena à bien en vendant la « montagne » du Patifiage.

Comment y aller ?
Dans le village, prenez la direction de Suzette avant de bifurquer à droite sur le chemin des Grandes Terres. Laissez le chemin des Rabassières à gauche pour emprunter le suivant, le chemin de Bois Long, sur 500 mètres. Tournez alors à droite sur le chemin de l’Aqueduc que vous trouverez à peu de distance dans un vallon.

Stéphan Quezel-Ambrunaz