Le 26 avril 1336, François Pétrarque quitte Malaucène aux premières heures du jour, accompagné de son frère Gérard et de deux serviteurs, pour entreprendre l’ascension du Ventoux, cette montagne qui avait séduit son regard d’enfant à Carpentras.

Le 26 avril 1336, l'ascension du Ventoux par Pétrarque

Le 26 avril 1336 (1), François Pétrarque quitte Malaucène aux premières heures du jour, accompagné de son frère Gérard et de deux serviteurs, pour entreprendre l’ascension du Ventoux, cette montagne qui avait séduit son regard d’enfant à Carpentras.

C’est là, en effet, qu’en 1311 son père, exilé de Florence pour des raisons politiques, avait installé sa famille après que lui-même ait trouvé une charge à la cour du pape Clément V à Avignon.
Le jeune François, alors âgé de sept ans, suit dans cette ville l’enseignement dispensé par Convenevole da Prato, compagnon d’exil de son père, puis va étudier le droit à Montpellier et à Bologne.

Il regagne les bords du Rhône en 1326 et, quelques mois plus tard, il rencontre dans l’église Sainte Claire d’Avignon la mystérieuse Laure dont il tombe éperdument amoureux.
Mariée, celle qu’il ne cessera d’aimer ne se donnera jamais à lui. Il entre au service de l’Eglise et se rapproche du cardinal Giovanni Colonna. Celui-ci l’introduit dans la haute société ecclésiastique où, remarqué pour son érudition, son humanisme et son admirable écriture poétique, il mène une vie mondaine et frivole, agrémentée de rencontres et de voyages.

En 1333, il fait la connaissance du moine italien Dionigi de Borgo San Sepulcro qui lui fait découvrir l’œuvre de saint Augustin et devient son ami et confident. La lecture des écrits augustiniens déclenche chez cet être à l’âme tourmentée, une crise mystique liée au conflit entre sa vie dissolue et l’élévation de ses aspirations spirituelles.

 C’est à cette époque qu’il décide de faire l’ascension du Ventoux avec ses compagnons, aventure alors impensable, comme s’efforce de le leur faire comprendre, en vain, le vieux berger qu’ils rencontrent au début de l’expédition. Rien ni personne ne pouvait remettre en question leur détermination, si ce n’est la rudesse de la pente. Pétrarque ralentit le pas. Après une courte halte, alors que son frère cadet et les serviteurs progressent aisément en empruntant les passages les plus directs et les plus abrupts, lui perd du temps en faisant des détours, à la recherche d’un improbable sentier plus facile. Ses compagnons l’attendent. Ils repartent ensemble mais François, rebuté par l’effort, allonge son parcours en faisant des détours par le fond des combes. Las et découragé, il s’assoit pour reprendre haleine.

La confession de Pétrarque

C’est alors que par association d’idées, ses pensées le portent à comparer les difficultés rencontrées pour atteindre le sommet aux obstacles auxquels il est confronté dans sa vie pour suivre la voie permettant d’accéder à la vie éternelle : « après avoir beaucoup traîné, il te faudra choisir : accéder au bonheur éternel au prix d’énormes efforts sottement différés ou t’abandonner dans le bas fond de tes péchés et, - je frémis à le penser - si les noires ténèbres de la mort te surprennent en ces lieux, tu vivras l’éternité dans des tourments sans fin ».

Stimulé par ces pensées, il rejoint ses amis, et ils atteignent ensemble le sommet : « Tout d’abord, vivement surpris par la légèreté de l’air et par le spectacle grandiose du paysage, je fus comme étourdi. Je me retourne : des nuages flottent à mes pieds ».
Il tourne son regard vers l’Italie, où le porte son cœur, et se rappelle ses dix années de vie imparfaite depuis son départ de Bologne et sa lutte pour devenir plus vertueux « Je me réjouissais de mes progrès, je déplorais mes imperfections… ».

Puis, échappant à sa réflexion, il contemple à nouveau le panorama : Les monts lointains du lyonnais, la Méditerranée qui baigne Marseille et Aigues-Morte, le Rhône à ses pieds… mais les lieux s’effacent à nouveau quand il décide de feuilleter le petit livre des Confessions de saint Augustin qui l’accompagne partout. Il l’ouvre au hasard sur cette phrase du Livre X : « Les hommes s’en vont admirer les cimes des montagnes, les flots immenses de la mer, le long cours des fleuves, les mouvements de l’océan et la courses des astres, et ils se délaissent eux-mêmes ». Il arrête là sa lecture, stupéfait par cette coïncidence qu’il juge providentielle.

Il ne peut plus ôter cette phrase de son esprit, persuadé qu’elle lui est destinée personnellement. Il se souvient alors que saint Antoine et saint Augustin lui-même avaient vécu une situation identique.

Le soleil déclinant, il entame la descente sans interrompre le fil de sa pensée : « l’on ne m’entendit plus prononcer un seul mot jusqu’au terme de notre excursion », méditant sur le manque de sagesse des hommes qui se perdent dans des futilités et de vains spectacles, cherchant ailleurs ce qu’ils pourraient trouver en eux-mêmes. Puis, se retournant sur le chemin, il se rend compte que la cime de la montagne où il a tant souffert est peu élevée par rapport à la hauteur que peut prendre la pensée humaine lorsqu’elle n’est pas pervertie par les corruptions du monde.

À son retour dans l’auberge de Malaucène, bouleversé par toutes les émotions vécues, il relate le récit de sa journée dans une lettre en forme de confession à son ami Dionigi.

Cette lettre, très vraisemblablement récrite des années plus tard, insérée dans le recueil Lettres Familières, est devenue l’une des plus célèbres de toute la tradition épistolaire occidentale.

Si Pétrarque accorde bien peu de place à la description du Ventoux : « une masse de terre et de roches escarpés, presque inaccessible », celui-ci est partout présent dans son cheminement à travers les combes et les escarpements et dans le détail de son tour d’horizon au sommet. Mais, au delà de sa réalité, il devient le support symbolique de sa quête spirituelle, le théâtre propice à sa méditation, le chemin de sa conversion.

Source Bernard Mondon, Directeur les Carnets du Ventoux

(1) 5 ou 6 mai de notre calendrier grégorien