Si l’Empire romain a duré plusieurs siècles, il n’a laissé que peu de traces visibles sur notre sol, quelques bribes disséminées ici et là, legs infimes comparés à l’héritage monumental de nos voisins de Vaison-la-Romaine, d’Orange ou de Nîmes. Ni théâtre antique ni cirque ne se dressent à nos carrefours. Plus qu’ailleurs, nos aïeux auraient-ils fait table rase du passé ?

Rassurez-vous, notre patrimoine gallo-romain est une sorte d’iceberg. Sous nos pieds dorment ainsi deux à trois cents villas gallo-romaines, une cinquantaine de sanctuaires, un aqueduc à Malaucène, et quantité de nécropoles avec leurs précieuses sépultures. Le temps est un Petit Poucet facétieux, il livre ses indices au compte-gouttes.
À l’occasion de labours et de chantiers, le soc d’une charrue, la pelle d’un ouvrier exhument ici et là autels dédicacés et stèles funéraires, mosaïques colorées et lampes à huile, vaisselles et bijoux, statues et monnaies, autant de vestiges hors d’âge pour nous aider à renouer le fil de l’histoire. Le marbre blanc, l’argile ou le bronze composent alors des trésors aux origines incertaines qui n’attendent que l’expertise de l’archéologue pour livrer leurs secrets. Ce qui commence comme une banale journée de travail se poursuit comme une enquête policière de longue haleine.

Triomphe d'antan

J’ai vu des proconsuls romains défiler sur leurs chars d’apparat et un pape commander à une cour dévouée. J’ai abrité des mendiants à la sortie des offices et des chats amateurs de reliefs de banquets épiscopaux. J’ai même entendu tomber le couperet de la guillotine. J’assiste désormais à des spectacles plus réjouissants comme les Noëls Insolites en hiver, les Fiestas Bodega en été. Je suis, je suis ? L’arc romain de Carpentras, bien sûr !

Si l’on en croit une date d’érection fixée au Ier siècle, je suis le doyen des monuments élevés au pied du Ventoux. Depuis 1840, je figure aussi avec la cathédrale Saint-Siffrein, ma voisine, et le baptistère de Venasque, parmi les plus anciens monuments historiques classés de France. Si je pouvais parler, je vous raconterais toute l’histoire de Carpentras, carrefour de terroirs prospères et déjà cité de marché à ma naissance. La mienne commence sous le règne de l’empereur Auguste.

Quelques décennies plus tôt, la Carpentorate des Méminiens (voir par ailleurs), soumise par Claudius Tiberius Nero lors de la guerre des Gaules, est devenue Forum Neronis. Avec Auguste, elle obtient le titre de colonie latine et s’appelle dès lors Colonia Iulia Meminorum. C’est à cette occasion qu’on m’élève ainsi qu’à la gloire de cet empereur et de ses victoires en Germanie.

Jamais déplacé, j’ai ensuite été mutilé et même enterré vivant. Tour à tour converti en porte de cathédrale romane, puis englobé dans les cuisines d’un palais d’évêque, j’ai longtemps vécu à l’ombre d’une prison où la dernière exécution capitale s’est déroulée en 1943. Qu’ils sont loin les triomphes d’antan. Haut de huit mètres, percé d’une seule arche, j’ai perdu couronnement et colonnes. Dans ma jeunesse, je marquais vraisemblablement l’entrée de la place publique, le forum romain.

Un peu estompés, mes bas-reliefs exposent des attributs martiaux et des soldats capturés ailleurs, vêtus de peaux de bête ou de tuniques. Pour la plupart d’entre vous aujourd’hui, je suis, au mieux, un livre d’histoire, au pire, un décor de cinéma. J’ai deux mille ans, ne l’oubliez pas.

Les Bruns antiques

Nichée au pied du Mont Ventoux, entre départementale et sentier de grande randonnée, la villa antique des Bruns est un peu notre maison témoin de la civilisation gallo-romaine, mi-résidence principale, mi-exploitation agricole, le tout agrémenté de thermes, la salle de bain des Latins.

Construite vers 150 après J.-C., ses propriétaires ont mis la clé sous la porte au IIIe siècle, nous léguant les vestiges très érodés de vingt-sept pièces desservies par une galerie couverte s’étirant sur quatre-vingts mètres de long. Disposition unique en Provence, tout comme l’enduit bleu turquoise ornant la baignoire du frigidarium, pièce thermale non chauffée.

Mis à disposition de la CoVe par la commune de Bédoin, la villa est un cadre rêvé pour visites guidées et animations patrimoniales. De ce promontoire perché à plus de cinq cents mètres d’altitude, vous dominez une plaine dont la destination n’a pas beaucoup varié depuis cette lointaine époque, entre culture de la vigne et de l’olivier. Si les rivières ont changé de lit, si les marais se sont asséchés et si les collines se sont ouvertes à l’agriculture, nos petits chemins de campagne correspondent encore souvent aux limites des parcelles du cadastre romain. Mais ils ne mènent plus à Rome.

Travaux d’argile

Doutez-vous encore que la terre garde jalousement la mémoire de notre passé gallo-romain ? La découverte faite en 1997 à Mazan devrait finir de vous convaincre. La fouille, conduite au quartier Plein Panier, a révélé la présence, pour la première fois sur le sol gaulois, d’un atelier de potiers spécialistes des amphores de style gréco-italique, démontrant à l’occasion que le piémont du Ventoux est l’une des régions viticoles la plus ancienne de France.

Datés de la fin du Ier siècle, ses trois fours cuisaient aussi du mobilier religieux ou décoratif comme des têtes de chevaux, uniques en Gaule également, et des plaques Campana (voir zoom ci-contre) qui ont leurs équivalents à Pompéi. Cet atelier n’est pas unique autour du Ventoux où abondent les gisements d’argiles. Des hommes de l’art ont exercé à Bédoin, commune longtemps réputée pour ses poteries, mais aussi à Beaumes-de-Venise, à Crillon-le-Brave, à Gigondas, à Modène ou encore à Venasque.

La terre cuite était un peu la matière première reine de l’époque pour le bâtiment et la table. Beaucoup d’objets du quotidien nous demeurent familiers comme les tuiles, plates ou canal de nos toitures, les briques de nos murs, les tomettes de nos sols, sans oublier les céramiques qui ornent nos intérieurs. Preuve, s’il en est, que la civilisation gallo-romaine n’a pas totalement disparu du paysage.

Plaques Campana
Ces plaques en terre cuite à décors moulés ornaient les villas gallo-romaines. Elles étaient fixées en façade sous la génoise en bande d’un mètre de haut. Leurs décors se composaient de motifs floraux, mythologiques ou animaliers comme des chiens assis. Ces plaques étaient très répandues en Italie centrale. En Gaule, elles ont trouvé moins d’amateurs et sont donc plus rares.

Le vin antique
L’histoire du vin se confond avec celle de l’humanité. Venues du Moyen-Orient où elles sont attestées dès la préhistoire, les techniques viticoles s’améliorent en Égypte avant d’être reprises et perfectionnées par les Grecs puis les Romains. Dans l’Antiquité, le vin n’était pas une boisson comme les autres. C’était le breuvage des dieux et l’ivresse était perçue comme un moyen d’entrer en contact avec l’au-delà. Chez nous, la vigne a été introduite par les Grecs, depuis leur colonie marseillaise, au VIe siècle avant notre ère. Son essor réel démarre avec les Romains. Tout le sud de la Gaule devient alors un terroir viticole rivalisant avec ceux de la péninsule italienne. Au cours des Ier et IIe siècles, nos agriculteurs se spécialisent dans la production de vin destiné à l’exportation. Déjà !