une découverte archéologique relatée par Michel Gonzalez, membre du GACR

C’est sur la route pittoresque des gorges de la Nesque reliant Villes-sur-Auzon à Sault (Monts de Vaucluse), qu’en 1985, Jacques Perret membre du GACR (Groupe Archéologique de Carpentras et sa Région) fait une découverte d’importance.

Cette découverte a lieu dans des abris sous roche « les abris Perret », situé au lieu-dit Fayol commune de Blauvac, ces cavités peu profondes désignées du nom de son inventeur, se situent en rive droite de la Nesque, à 550 m d’altitude et à une vingtaine de mètres au-dessus de la RD 942.

Les abris s’ouvrent au sud-ouest et sont creusés à mi pente dans les calcaires secondaires bédouliens à faciès urgoniens qui constituent le canyon de la Nesque. La végétation est une garrigue assez dense où dominent genévriers et chênes verts.

La découverte

Au pied d’une paroi verticale rocheuse d’une trentaine de mètres de haut, au- dessus de la route, un renfoncement se divise en de nombreux abris aux dimensions variables. C’est dans trois de ces abris que débute en 1987 une fouille archéologique dirigée par Philippe Hameau (Maître de Conférence en Anthropologie culturelle à l’université de Nice Sophia Antipolis), avec la collaboration de Maurice Paccard (1920-2009), préhistorien, président du GACR et des bénévoles de l’association.

Cette fouille permit plusieurs découvertes :

- L’abri n° 1 (photo 1) est orné sur la paroi du fond de quatre peintures tracées, à hauteur d’yeux, sur la paroi verticale, avec un pigment de couleur rouge tirant parfois sur l’orangé ; elles présentent un personnage masculin sexué de 11 cm de hauteur surmonté de 9 points, et reposant sur 9 autres points, alors que 6 points supplémentaires le bordent à gauche (photo 2). Un autre personnage a été peint, très proche du précédent par sa forme, mais il est dans un état de dégradation avancée.

- L’abri n° 2 (photo 3) est situé juste au-dessus du n° 1, à 7 m. de haut. Il est uniquement accessible par une échelle. Le centre de l’abri est occupé par un monolithe recouvert de calcite, de 2 m 30 de hauteur et 1 m 50 de diamètre. Il s’agit d’une stalactite qui s’est détachée de la voûte, puis s’est soudée au sol par une trainée de carbonate issue du ruissellement des eaux sur le calcaire. La création du monolithe est antérieure aux vestiges laissés par l’occupation humaine. Sur la paroi verticale ouest à 1 m 25 du sol sont peintes en rouge 16 petites croix de forme grecque et 9 autres encore plus petites, à droite, en forme de croix de Saint-André (photo 4). Cet ensemble peint mesure 7,5 cm sur 3 cm de haut. 

- L’abri n° 3 se situe à la même hauteur que le précédent, mais il est de moindre dimension. Aucune peinture n’y a été décelée, mais un muret en pierre sèche calcaire a été construit sur le sol rocheux, délimitant ainsi un espace d’environ 1,75 m².

Le mobilier archéologique

Sur le sol d’occupation de l’abri n° 2, 60 fragments de poterie à pate grise sableuse friable ont permis de reconstituer une jarre à préhension de 40 cm de haut et d’un diamètre de 36 cm à la panse. Montée au colombin (technique utilisant de longs boudins d’argile montés les uns sur les autres), elle est ornée d’une ligne d’impressions digitales. C’est une jarre de type rhodanien datée du bronze ancien (soit entre 1900 et 1400 ans av. J.-C.), appelée « jarre à cordon ».

Un tesson de céramique isolé, attribué à la civilisation Campaniforme (petit gobelet de style provençal en forme de cloche donnant son nom au vase, daté du bronze ancien), il est orné d’un motif en forme de grille souligné par des lignes horizontales et de courtes incisions.

Un mobilier lithique associé aux tessons, regroupé dans un espace restreint, témoigne du débitage d’outils en silex in situ. On dénombre un nucléus de silex brun préchauffé, un grattoir sur éclat, un racloir, des lames, un rognon de silex bleu. Il s’agit probablement d’une matière première extraite aux alentours des abris peints.

Le matériel recueilli dans l’abri n° 3 se compose de tessons à forme ouverte munie d’un goulot et d’une anse à pâte noire ; ils datent également du bronze ancien. Quatre éclats de silex au bulbe prononcé et un nucléus de silex ont été trouvés entre les pierres du muret.

Comparaisons et interprétations

Le genre de cavités auquel appartiennent les abris Perret 1 et 2, le type des représentations qui y sont peintes, la technique employée pour les peindre, tout cela autorise à les intégrer dans un courant pictural schématique qui se développe de la péninsule ibérique jusqu’au sud de la France. La signification des peintures de l’abri n° 1 doit être appréhendée en même temps que celle des figures de l’abri n° 2 perché juste au-dessus ; l’ensemble Perret est donc à considérer comme un tout.

Sous ces barres rocheuses remarquables, les Néolithiques ont mis en valeur par des peintures les écoulements des eaux souterraines ruisselant le long des parois. Ces lieux ponctuellement humides avaient donc pour ces populations une importance symbolique certaine. Cela serait confirmé par la présence des vases dans les deux abris en hauteur, des ustensiles clairement destinés à recueillir de l’eau.

Les deux personnages peints, distingués l’un de l’autre notamment par l’ajout de points, exprimeraient le changement de statut d’un personnage ainsi dédoublé, peut-être à l’issu d’un rite de passage. En effet, les deux vases à eau qui témoignent d’une occupation momentanée et les outils de silex fabriqués sur place de façon médiocre dans les abris perchés que sont les abris Perret 2 et 3, laisseraient penser que ce sont des jeunes gens inexpérimentés ou en cours de formation qui ont fréquentés, en reclus, ces abris.

L’originalité des abris Perret, outre le fait d’être des témoins supplémentaires de peintures protohistoriques schématiques, réside surtout dans le fait d’être un cas exceptionnel associant ces créations picturales à un matériel archéologique et des structures datables, ce qui en fait un cas d’étude inédit et très instructif.

Ph. Hameau, « Un passage obligé par les abris peints au Néolithique », in Ph. Hameau, Ch. Abry et Fr. Letoublon (éd.), Les Rites de passage - 1909-2009. De la Grèce d’Homère à notre XXIe siècle, coll. Le Monde Alpin et Rhodanien, Grenoble, 2010, p. 47-56