Avec son complice le berlingot auquel elle prête volontiers sa robe légère, son parfum capiteux et ses rondeurs écarlates, la fraise est devenue le porte-drapeau du terroir carpentrassien, l’ambassadrice d’un savoir-faire d’excellence, toute une signature, celle d’un certain art de vivre comtadin.

Un printemps, chez nous, résolument gourmand.

Rouge vif ! Ce n’est pas une blessure, c’est un baiser sucré, un péché de chair pulpeuse, une audace fruitée, toute une fraise, celle de Carpentras évidemment. Imaginez cette oasis : des toupets de verdure saupoudrés de petites touches de carmin dans un jardin sous cloche mis en musique par une envolée de bourdons. Hors-d’œuvre pointilliste d’horticulteur ? Plutôt le grand ouvrage de persévérance, faite fleurs puis fruits, de fraisiculteurs passionnés, adeptes de délicieux rendez-vous sous serres avec un printemps, chez nous, résolument gourmand.

Depuis près de cent cinquante ans maintenant, la fraise de Carpentras, fleuron aromatique de notre terroir, se gorge de saveurs dans une terre en suspension où un savant goutte-à-goutte d’eau, de nutriments et de chaleur assure une qualité toujours égale, toujours parfaite

Fraises à croquer

À la vérité, l’histoire de la fraise de Carpentras emprunte aux ressorts d’une jolie fable.
Mal commencée, elle se termine néanmoins en beauté pour nos agriculteurs du XIXe siècle.

Trois méchants tentent d’abord de venir à bout d’une économie comtadine surtout agraire. C’est d’abord un champignon qui triomphe du vers à soie, puis un colorant de synthèse qui supplante la rouge garance, avant qu’un puceron ne saccage la vigne.
Surmontant ces épreuves, nos héros trouvent la force de rebondir, le courage de tout recommencer. Redoublant d’efforts partout en Comtat, ces pionniers se lancent dans quatre cultures, autant de défis.

Avec la truffe, la plus lucrative, mais la plus aléatoire, et les cépages américains, voici que vient poindre, parmi tous les primeurs adoptés, l’adorable frimousse d’une séduisante lointaine cousine de la rose, cette fraise belle à croquer, trésor de patience et d’imagination. Habiles jardiniers, ils tirent le meilleur parti d’un duo d’aménagements majeurs : le canal de Carpentras, inauguré en 1857 pour irriguer vergers et potagers, et la voie ferrée dont deux lignes, mises en service en 1863 et 1894, ouvrent de nouveaux horizons.

Quand la récolte bat son plein, jusqu’à quinze wagons de fraises, cueillies le matin même par une armée d’habiles saisonnières, quittent chaque jour la gare de Carpentras pour la capitale et l’étranger. Véritable révolution culturelle, source de prospérité pour notre terroir, cette heureuse conjonction du canal et du rail lui vaudra bientôt un nouveau visage, bordé de remparts de cannes et de cyprès, souverains contre les vents dominants, et surtout son surnom de Jardin de la France.

Variations fraisières

Vous êtes plutôt Cléry, Gariguette ou Ciflorette ? Question d’arôme, de silhouette, voire de carnation.
Dans son éblouissante robe, balançant entre rubis, vermillon et orangé, demoiselle fraise émoustille nos palais, du vif sucré à l’acidulé, avant d’infuser son parfum dans toutes sortes d’irrésistibles gourmandises. De la fin de l’hiver jusqu’à l’été, la belle pulpeuse, en forme de cœur, poupine ou effilée, ensorcelle salades de fruits, confitures, sorbets, tartes, berlingots et autres bouchées de paradis.

Par tradition, la native de Carpentras se porte plutôt bien, toute ronde et brillante comme la précoce Cléry ou cette Charlotte au bouquet de fraise des bois qui se cueillent jusqu’aux premières gelées.

Pour assurer son avenir, elle peut compter depuis vingt ans sur l’aide précieuse de toute une confrérie œuvrant à sa promotion partout en France, jusque sous les ors de l’Élysée, du Sénat et de l’Assemblée nationale. « C’est souvent la fraise qui me ramène à Carpentras, déclarait Périco Légasse, le célèbre critique gastronomique, à l’occasion de son intronisation au sein de la Confrérie de la Fraise de Carpentras. Avec ses fraisiculteurs, j’ai découvert une dimension de la fraise que je ne connaissais pas puisqu’elle fait partie des fruits qui ont perdu beaucoup de leur valeur. Et à Carpentras, elle a gardé tout son génie, toute son identité. »

N’attendez plus pour rendre hommage à ces producteurs de fraises qui se donnent tant de mal pour nous faire tant de bien. La fraise, croquez-la comme la vie : à pleines dents !

Stéphan Quézel-Ambrunaz